Dernière mise à jour : octobre 2022
Population geneticsPaleogenomics
Les mystères des Grecs anciens – Histoire
Que nous révèle leur ADN ?
Contexte
La Grèce a marqué de son empreinte l’histoire, la philosophie, l’art et l’architecture de l’Occident… et bien plus encore.
Que s’est-il passé en Grèce il y a plus de 3000 ans ?
Qui sont les habitants qui ont vécu à l’âge du bronze, qui sont leurs ancêtres et quel est l’impact sur la population grecque actuelle ?
Voici un bref retour dans le passé pour essayer de percer certains mystères des Grecs anciens !
Cette histoire se passe autour de la mer Égée, une mer intérieure du bassin méditerranéen. La mer Égée est entourée par la Grèce continentale, la Turquie et l’île de Crète.
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Un peu d’histoire
Afin de mieux comprendre les événements qui ont façonné la culture et la génétique des Grecs anciens et modernes, voici un petit résumé des principales périodes de l’histoire de la Grèce.
La période néolithique (6700 – 3000 av. J.-C.)
Lors de la période néolithique (une des périodes de l’âge de la pierre), les Grecs, qui étaient surtout des chasseurs-cueilleurs, sont passés à une vie plus sédentaire grâce à la domestication des plantes et des animaux.
De nombreuses œuvres d’art (poteries, figurines) et outils en pierre polie sont datés de cette période. C’est également le début de l’organisation de sociétés et de systèmes économiques plus complexes.
Exemples de poteries datant de la période néolithique (5300-4500 av. J.-C.). Ces poteries sont exposées au Musée national d’archéologie, Athènes, Grèce. Source: Wikipédia
L'âge du bronze (3000 - 1100 av. J.-C.)
En Grèce, l’âge du bronze a commencé juste après la période néolithique. Il est divisé en 3 périodes : l’âge du bronze ancien, moyen et tardif.
Cette période est connue pour le développement de l’urbanisation. Elle est également connue pour l’augmentation de la production agricole, du commerce et une augmentation globale de la population.
C’est aussi le début de la production de spécialités locales, telles que le vin et l’huile. Les premières langues écrites en Europe sont apparues à l’âge du bronze moyen !
Source: The genomic history of the Aegean palatial civilizations (2021)
Exemples de lances et d’armes datées de 2000-1900 av. J.-C., retrouvées à Chypre. Actuellement au musée Metropolitan à New York. Source
Les civilisations égéennes à l’âge du bronze
A l’âge du bronze, 4 civilisations étaient présentes autour de la mer Égée:
- La civilisation minoenne, en Crète
- La civilisation helladique, en Grèce continentale
- La civilisation cycladique, dans les îles des Cyclades
- La civilisation d’Anatolie occidentale, dans l’ouest de la Turquie moderne
Ces civilisations ont clairement interagi les unes avec les autres.
La localisation de ces différentes civilisations autour de la mer Égée a favorisé les échanges commerciaux et culturels.
Le style des poteries ou des peintures, les coutumes funéraires ou l’architecture sont des exemples d’artefacts culturels qui confirment l’influence que ces 4 civilisations ont eu les unes sur les autres.
Mais est-ce que les habitants ont également échangé leurs chromosomes ?
Et quels sont les ancêtres de ces différentes civilisations ?
Plusieurs hypothèses, basées sur des données archéologiques, ont été faites à ce propos:
- Ces civilisations sont des descendants de différentes populations locales qui étaient déjà présentes pendant la période néolithique.
- Ces civilisations sont issues de l’immigration de populations provenant d’Anatolie et des chasseurs-cueilleurs d’Iran/Caucase, à l’âge du bronze ancien et moyen.
- Ces civilisations sont issues de l’immigration de populations provenant de la steppe pontique-caspienne, au début du l’âge du bronze ancien.
Les 4 mystères:
Mystère no 1: Existe-t-il un lien de parenté entre les différentes civilisations égéennes ? Autrement dit, les individus ont-ils aussi échangé leurs chromosomes ?
Mystère no 2: Existe-t-il un lien de parenté entre les civilisations égéennes et d’autres populations eurasiennes anciennes et modernes ?
Mystère no 3: Quel est lien de parenté entre les civilisations égéennes et la population grecque actuelle ?
Mystère no 4: À quoi ressemblaient les Grecs anciens qui vivaient à l’âge du bronze ?
Dans une étude publiée en 2021, les scientifiques ont utilisé l’ADN retrouvé dans des ossements pour répondre à ces questions !
Source: The genomic history of the Aegean palatial civilizations (2021)
Les ossements: une fenêtre ouverte sur le passé
Les scientifiques ont extrait l’ADN à partir des ossements de six individus ayant vécu à l’âge du bronze. Ces 6 individus ont été retrouvés sur différents sites archéologiques et appartiennent à différentes civilisations égéennes.
Le site funéraire Logkas, où deux des six anciens individus étudiés ont été trouvés. Ce squelette est celui de l’individu appelé Log02.
Source: Clemente et al. 2021 Figure S1 – Crédits photo : Ephorate des Antiquités de Kozani, Ministère hellénique de la Culture, Grèce. Avec l’aimable autorisation de la Dre Georgia Karamitrou-Mentessidi.
Voici les premières informations disponibles concernant les six individus. Les scientifiques ont utilisé la datation par le radiocarbone pour déterminer l’âge des ossements. 4 individus ont vécu à l’âge du bronze ancien et 2 individus ont vécu à l’âge du bronze moyen.
Individu | Site archéologique | Civilisation | Age (av. J.-C.) | Sexe | Période |
---|---|---|---|---|---|
Mik15 | Manika | Helladique | 2890-2764 | femme | Age du bronze ancien |
Pta08 | Petras | Minoenne | 2849-2621 | homme | Age du bronze ancien |
Kou01 | Koufonisi | Cycladique | 2464-2349 | homme | Age du bronze ancien |
Kou03 | Koufonisi | Cycladique | 2832-2578 | femme | Age du bronze ancien |
Log02 | Logkas | Helladique | 1924-1831 | femme | Age du bronze moyen |
Log04 | Logkas | Helladique | 2007-1915 | femme | Age du bronze moyen |
L’ADN ancien pour traquer l’origine des populations humaines
L’ADN a été extrait des ossements et séquencé. Les scientifiques ont ainsi eu accès au génome complet des six individus.
Paléogénomique - Comment extraire l'ADN ancient
Svante Pääbo (prix Nobel 2022)
L’ADN ancien (ADNa ou ADN fossile) peut être prélevé à partir de matériaux organiques, tels que des dents, des ossements ou des sédiments, provenant de musées ou de sites archéologiques.
L’extraction et le séquençage de l’ADNa sont difficiles car l’ADN est souvent présent en petite quantité. Il est souvent fragmenté et endommagé en raison de sa fragilité et de son exposition à l’environnement et surtout contaminé par l’ADN de plusieurs organismes différents..
Plus d’information: Peut-on vraiment extraire l’ADN ancien des dinosaures ? (EN).
Le prix Nobel de médecine 2022 revient au Suédois Svante Pääbo, fondateur et ‘parrain’ de la paléogénomique. S. Pääbo a mis au point tout un arsenal de techniques pour purifier et séquencer cet ADN fortement endommagé et contaminé par des séquences provenant de micro-organismes et d’humains modernes. Il a pu ainsi séquencer l’ADN humain le plus ancien, datant de 430 000 ans.
S. Pääbo a séquencé le génome de l’homme de Néanderthal. Voici le lien vers la séquence de l’ADN mitochondrial d’un homme de Néanderthal ayant vécu il y a quelque 120’000 ans, soumise par S. Pääbo à la banque de données GenBank.
Des petites différences au niveau d’un seul nucléotide dans les séquences d’ADN (appelées SNPs) permettent de déterminer l’origine des individus !
Les SNPs pour étudier les populations humaines…
Chaque individu est unique. Le génome de chaque individu est unique !
Un génome humain est composé de quelque 3 millards de nucléotides. Si on compare le génome d’un individu avec le génome humain de référence, on retrouve en moyenne 3 millions de différences appelées SNPs (‘Single Nucleotide Polymorphisms’ en anglais).
Comparons par exemple un morceau d’ADN de 4 individus avec la séquence ADN du génome humain de référence.
Note: pour simplifier, nous n’allons pas tenir compte du fait que nous sommes ‘diploïdes’.
Un peu de maths et de statistiques
Comment une liste de SNPs peut-elle permettre de déterminer si des individus sont apparentés ?
Les bioinformaticiens utilisent plusieurs méthodes statistiques pour représenter visuellement les similitudes génétiques des individus. L’une de ces méthodes est appelée MultiDimensional Scaling (MDS).
Voici une représentation simplifiée d’une analyse MDS faite à partir de l’exemple ci-dessus.
Dans le tableau (à gauche), nous mettons un 0 si le nucléotide à une position donnée est identique à la séquence de référence et 1 si le nucléotide est différent.
Le diagramme MDS (à droite) est basé sur les données de ce tableau. Une analyse MDS permet de réduire la quantité d’informations (dimensions) en deux composantes principales. Les différents individus peuvent ainsi être positionnés sur un graphique en 2 dimensions. Plus la séquence ADN de 2 individus est similaire, plus les 2 points correspondants seront proches sur le graphique.
Notre analyse MDS permet de dire qu’il existe deux groupes d’individus différents :
- Les individus 1 et 2 sont plus proches sur le graphique : ils sont génétiquement plus similaires entre eux qu’avec les individus 3, 4 et la séquence de référence.
- Les individus 3, 4 et la séquence de référence peuvent être groupés : ils sont génétiquement plus similaires entre eux qu’avec les individus 1 et 2.
Mystère no 1
Existe-t-il un lien de parenté entre les différentes civilisations égéennes ?
Plusieurs millions de SNPs des six individus ayant vécu à l’âge du bronze et provenant de différentes civilisations égéennes ont été analysés à l’aide de l’approche MDS.
Dans le graphique MDS ci-dessous (qui n’est pas interactif), chaque point représente un individu. Rappelez-vous: plus les séquences d’ADN des individus sont similaires, plus les points sont proches dans le graphique.
Cette analyse MDS montre que les quatre individus de l’âge du bronze ancien et les deux individus de l’âge du bronze moyen forment deux groupes distincts:
- Les quatre individus de l’âge du bronze ancien sont génétiquement similaires, alors qu’ils appartenaient à différentes civilisations égéennes.
- Les deux individus de l’âge du bronze moyen sont génétiquement similaires. Tous les 2 appartenaient à la civilisation Helladique.
Ces résultats indiquent que les civilisations égéennes du début de l’âge du bronze se sont mélangées, non seulement culturellement, mais aussi génétiquement !
Mystère no 2
Existe-il un lien de parenté entre les civilisations égéennes et les autres populations eurasiennes
anciennes et modernes ?
Plusieurs millions de SNPs des 6 individus de l’âge du bronze, mais également d’individus ‘anciens’ (n = 259) et modernes (n = 638) provenant de différentes régions – et de différentes périodes – ont été analysés.
Les résultats de l’analyse MDS sont présentés dans le graphique ci-dessous, graphique qui est interactif:
- vous pouvez sélectionner la ou les population(s) de votre choix;
- vous pouvez choisir la période qui vous intéresse, en modifiant la position du curseur sur la ligne du temps;
- en passant la souris sur les différents points, vous avez également accès aux informations concernant les différents individus (zone géographique et période).
Les résultats cette analyse MDS vont nous permettre de répondre en particulier à la question suivante:
- Quelle population – de quelle période – est génétiquement la plus similaire aux 4 individus ayant vécu à l’âge du bronze ancien ?
Graphique MDS interactif
Les quatre individus de l’âge du bronze ancien sont le plus similaires génétiquement aux autres individus ayant vécu à l’âge du bronze et ils sont génétiquement similaires aux agriculteurs qui ont vécu en Anatolie à la période du néolithique et au début de l’âge du bronze.
La similitude génétique entre les civilisation égéennes de l’âge du bronze ancien avec des individus ayant vécu en Anatolie suggère que ces populations avaient déjà utilisé la mer comme voie de communication, non seulement pour des échanges culturels, mais aussi pour des échanges génétiques !
Mystère no 3
Quel est le lien de parenté entre les civilisations égéennes ayant vécu à l’âge du bronze et les populations grecques d’aujourd’hui ?
L’ADN garde des traces des mélanges génétiques qui se produisent lorsque des populations génétiquement divergentes ou isolées se croisent (Wikipedia).
Les bioinformaticiens utilisent ces informations pour retracer l’ascendance d’une population avec un logiciel appelé ADMIXTURE. Ce logiciel utilise une sélection de SNPs présents dans les différents génomes. Ces analyses sont complémentaires aux analyses MDS.
Voici un exemple d’analyse ADMIXTURE effectuées avec l’ADN des grecs anciens et modernes. Chaque colonne représente un individu et chaque couleur représente une origine génétique différente (un ancêtre différent).
Graphique ADMIXTURE montrant l’origine génétique des populations grecques – du néolithique à nos jours. Clemente et al. 2021 Figure 3
Transition: néolithique – âge du bronze ancien
Les données génétiques de différentes populations du néolithique ont été comparées avec les 6 individus de l’âge du bronze.
Les analyses ADMIXTURE ont montré que cette transition est caractérisée par un flux génétique entre les agriculteurs locaux et les immigrants en provenance d’Iran / Caucase (augmentation de la composante bleue au fil du temps dans le graphique ADMIXTURE).
Les populations néolithiques locales ont toutefois apporté une composante génétique majeure (composante rouge dans le graphique ADMIXTURE).
Ces données génétiques vont dans le même sens que les données archéologiques qui avaient depuis longtemps validé l’hypothèse de l’arrivée de nouvelles populations en provenance d’Anatolie et d’Iran / Caucase en Grèce au début de l’âge du bronze.
Transition: âge du bronze ancien – âge du bronze moyen
L’analyse des échantillons des 2 individus de l’âge du bronze moyen démontre une augmentation de l’ascendance ‘cueilleurs-chasseurs d’Europe’ (augmentation de la composante jaune dans le graphique ADMIXTURE).
D’autres analyses ont montré que les populations de la steppe pontique-caspienne sont également des descendants des cueilleurs-chasseurs d’Europe (composante jaune) et du Caucase (composante bleue): ces données suggèrent que les populations de la steppe pontique-caspienne pourraient également avoir contribué à l’ascendance des individus de l’âge du bronze moyen.
Transition: âge du bronze – temps modernes
Les Grecs d’aujourd’hui sont génétiquement similaires aux égéens ayant vécu à l’âge du bronze moyen.
Qu’avons-nous appris jusqu’à présent ?
L’âge néolithique et l’âge du bronze ont été des époques importantes pour l’histoire de la Grèce. Les historiens et les archéologues savaient qu’il y avait des civilisations distinctes autour de la mer Égée, et que ces civilisations ont eu beaucoup d’influence les unes sur les autres, comme par exemple avec la construction de palais sophistiqués, le développement des centres urbains, un commerce intensif ou une utilisation intensive du métal. Mais maintenant, en utilisant l’ADN, nous savons que les habitants de l’époque ont aussi échangé leurs chromosomes !
La population locale et les nouveaux arrivants d’Iran/Caucase et des steppes ont donc contribué à cette période d’innovation. Et l’ADN des Grecs modernes portent encore des traces de cette ascendance !
Mystère no 4
A quoi ressemblaient les grecs anciens qui vivaient à l’âge du bronze ?
A vous de jouer ! Utilisez les SNPs pour découvrir à quoi ressemblaient les grecs anciens… Etaient-ils tolérants au lactose ?
Plus d’information
The genomic history of the Aegean palatial civilizations (2021)
When genetics makes ancient civilisations speak (SIB news, 2021)
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