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Zombieland – Histoire

L'histoire d'un champignon qui parasite et manipule une fourmi

Dernière mise à jour: septembre 2024
ParasitismAncestral state reconstruction

Contexte

Vous avez peut-être entendu parler du ‘champignon de la fourmi zombie’, de son vrai nom Ophiocordyceps unilateralis, qui est présenté comme une menace majeure pour la survie de l’humanité dans le jeu vidéo et la série télévisée ‘The Last of Us’.

Dans cette œuvre de fiction, l’augmentation des températures liée au changement climatique contribue à l’évolution de ce champignon. Le champignon va alors infecter les humains et manipuler leur comportement dans le but de favoriser sa propre reproduction et survie.

Dans la vraie vie, O. unilateralis est un champignon parasite qui infecte certaines fourmis et modifie leur comportement. O. unilateralis infecte en particulier les fourmis charpentières qui vivent dans les forêts tropicales.

Les parasites, des organismes souvent indésirables

Un parasite est un organisme qui profite d’un autre être vivant (l’hôte) pour vivre et se reproduire.

Cette relation entre le parasite et l’hôte est bénéfique pour le parasite: elle peut être neutre, mais est souvent nuisible pour l’hôte, pouvant entraîner des maladies, voire la mort.

Les parasites peuvent être des animaux, des plantes, des champignons, des protozoaires ou des bactéries. Les virus sont considérés comme une classe particulière de parasites.

Quelques parasites célèbres

Certains parasites vivent à l’intérieur de leur hôte, comme les vers intestinaux. D’autres vivent à la surface de leur hôte, comme les poux ou les tiques, le gui ou le lierre.

Presque toutes les espèces sont susceptibles de servir un jour d’hôte pour un parasite. Les cycles de reproduction des parasites impliquent parfois plusieurs hôtes consécutifs, ajoutant une complexité fascinante à leur mode de vie.

Le monde des parasites est un univers riche et diversifié. Il illustre l’incroyable adaptabilité des organismes et la variété des stratégies de reproduction …vous trouverez cela envoûtant, à moins que vous ne soyez vous-même victime d’un parasite, tout comme la fourmi charpentière !

La vie des fourmis charpentières et du champignon O. unilateralis

Les colonies des fourmis charpentières sont situées généralement en hauteur dans les arbres des forêts tropicales.  Ces fourmis utilisent des pistes aériennes pour chercher de la nourriture et ne descendent au sol qu’en cas de nécessité.

Lorsqu’elles sont au sol, elles peuvent être infectées par un spore du champignon O. unilateralis: le champignon pénètre dans la fourmi, se reproduit et s’organise en colonie à l’intérieur du corps de la fourmi.

Normal ant

Le champignon relâche des substances qui vont aller dans le cerveau et les muscles des fourmis. Sous l’influence de ces différentes ‘drogues’, les fourmis infectées vont changer de comportement.

Si les fourmis infectées avaient un comportement normal, elles auraient vécu jusqu’à la fin de leurs jours dans la colonie. Une fois mortes elles auraient rapidement été éliminées par les fourmis ouvrières qui nettoient scrupuleusement leur environnement. Le champignon n’aurait pas pu finir son cycle de reproduction.

Sous l’influence des différentes ‘drogues’ relâchées par le champignon, les fourmis vont quitter définitivement la colonie et s’accrocher sur des feuilles proches du sol.

Dans cet écosystème, l’humidité et la température sont idéales pour la reproduction du champignon. O. unilateralis produit alors des composés qui atrophient les muscles de la mâchoire de la fourmi, de sorte que la fourmi ne peut plus se détacher et meurt, attachée à la feuille. On parle d’attache mortelle (death grip).

Infected ant with the deathgrip

Quelques heures après la mort de la fourmi, le champignon produit une sorte de tige qui va sortir de la tête de la fourmi. Cette tige est appelée sporophore : c’est la partie visible du champignon.

Cette tige libère des spores sur le sol. Ces spores pourront alors infecter d’autres fourmis.

C’est le début d’un nouveau cycle.

O.unilateralis a donc acquis au cours de l’évolution des moyens optimaux pour se reproduire efficacement :

(1) le champignon colonise et modifie le comportement de la fourmi pour qu’elle meure à un endroit idéal pour lui

(2) le champignon exploite le corps de la fourmi morte pour finaliser son cycle de reproduction.

La relation hôte-parasite au niveau moléculaire

Que se passe-t-il  dans le champignon et dans le corps de la fourmi au cours de l’infection ? Quels processus biologiques sont modifiés ?

Dans une étude de 2015, des chercheurs ont séquencé le génome de O.unilateralis (voici un petit morceau du génome de ce champignon).

Le génome de O.unilateralis contient quelque 10’000 gènes codant pour des protéines. Les auteurs estiment que 13 % de ces protéines sont spécifiques à ce champignon. Certaines protéines sont similaires à des toxines bactériennes. Elles pourraient être produites par le champignon au moment de l’attache mortelle et pourraient être responsables de l’atrophie musculaire de la fourmi.

Ces chercheurs ont également étudié les changements d’expression des gènes, en particulier au moment de l’attache mortelle. Ils ont analysé quelque 18 millions de morceaux d’ARN messager extraits de la tête de fourmis infectées.

  • Chez la fourmi:  l’expression de quelque 1’900 gènes est modifiée au cours du processus (environ 10 % des gènes). La présence du champignon induit une diminution de la réponse immunitaire. L’expression des gènes impliqués dans les réponses au stress, dans la communication chimiosensorielle (les fourmis sont moins sensibles aux signaux de l’environnement) et dans l’apoptose (suicide cellulaire) est modifiée.  Une fois que l’attache mortelle a eu lieu, les gènes de la fourmi impliqués dans l’apoptose sont activés dans le cerveau: les cellules du cerveau s’auto-détruisent peu à peu.
  • Chez le champignon: l’expression de quelque 1’400 gènes est modifiée (environ 14 % des gènes) au moment de l’attache mortelle. Ces gènes sont  impliqués dans des processus d’oxydoréduction (modulation de l’état inflammatoire de la fourmi) et d’interaction avec les pathogènes.

Ces résultats doivent être confirmés par d’autres études.

Source : Gene expression during zombie ant biting behavior reflects the complexity underlying fungal parasitic behavioral manipulation (2015)

La co-évolution hôte-parasite

L’étude de l’évolution des relations qui existent entre les parasites et leurs hôtes est un aspect important de l’écologie évolutive : elle permet en particulier de comprendre les mécanismes complexes qui sont en jeu dans la survie des espèces et leur adaptation mutuelle.

Un des objectifs de l’écologie évolutive est de reconstituer ce qui s’est passé au cours de l’évolution des populations ‘hôtes’ et ‘parasites’.

La ‘reconstruction de l’état des caractères ancestraux’ (ACSR) est une méthode utilisée pour déterminer les caractères que les organismes ancestraux auraient pu avoir, sur la base des caractères observés chez leurs descendants. Il est ainsi possible de retrouver les états de caractère  d’organismes ayant vécu il y a des millions d’années (wikipedia).

En 2019, des scientifiques ont étudié 629 espèces de champignons parasites (ordre Hypocreales). En épluchant plus de 1’600 publications, ils ont retrouvé les hôtes de ces différents parasites et ont pu reconstituer leur histoire évolutive!

Source : Zombie-Ant Fungi Emerged from Non-manipulating, Beetle-Infecting Ancestors (2019)
Evolution de l’association entre hôtes et champignons Ophiocordyceps. Les branches de différentes couleurs reflètent les différentes associations hôte – parasite: Nœud 1 : l’ancêtre des champignons Ophiocordyceps était un parasite des larves de coléoptères // Nœud 2 : point de transition entre les champignons qui parasitent des coléoptères et ceux qui parasitent des insectes sociaux (abeilles, fourmis, guêpes) // Nœud 3 : le premier ancêtre des champignons Ophiocordyceps qui parasite des insectes sociaux // Nœud 4 :  le premier champignon Ophiocordyceps qui parasite des fourmis (selon  la figure 1,  publication)

L’arbre phylogénétique des champignons Ophiocordyceps, avec leurs hôtes prédits selon la méthode ACSR, montre à quel moment de leur évolution les différentes espèces de champignons ont changé d’hôte.

Les ancêtres de O. unilateralis étaient probablement des parasites qui infectaient les larves de coléoptères dans le sol ou le bois en décomposition. Les coléoptères sont des insectes plutôt solitaires.

Au fil du temps, les champignons ont acquis la capacité de modifier le comportement de leur hôte: ils ont alors commencé à infecter des insectes sociaux, dont les fourmis.

Les insectes sociaux vivent dans des sociétés très organisées. La colonie est protégée des maladies et des pathogènes grâce à un nettoyage minutieux: le corps de l’organisme infecté est rapidement élimininé. Un changement de comportement de l’organisme infecté était donc requis: il doit mourir en dehors de la colonie pour permettre au champignon de compléter son cycle de reproduction. C’est ce qui se passe pour la fourmi charpentière infectée par O. unilateralis .

Le changement d’hôte au cours de l’évolution du champignon a été possible parce que les coléoptères, les fourmis et le champignon vivaient dans le même environnement.

Comment étudier la co-évolution hôte-parasite ? Comment reconstruire l'état des caractères ancestraux ?

Différentes approches sont utilisées pour la ‘reconstruction de l’état des caractères ancestraux’ (ACSR), dont le principe de parcimonie.

Dans ce cas, l’idée est de minimiser le nombre de changements nécessaires chez les ancêtres pour expliquer les caractères observés chez les espèces actuelles.

Voici un exemple d’un algorithme simple (algorithme de Fitch) qui utilise le principe de parcimonie. Dans cet algorithme, tous les caractères ancestraux ont la même probabilité d’exister (wikipedia).

 

Supposons que nous ayons trois espèces de champignons (A, B, C) et 2 caractères observés  : 0 -> le champignon parasite un coléoptère ; 1 -> le champignon parasite une fourmi.

Les champignons B et C ont un ancêtre commun (ancêtre 1). L’ancêtre commun à tous les champignons est l’ancêtre 2.

Voici l’arbre phylogénétique des 3 espèces de champignons :

 
  ancêtre 2
   / \
  A  ancêtre 1
     / \
    B   C

On va attribuer les caractères observés aux nœuds finaux : A (0), B (1), C (0), et ‘reconstruire’ celui de l’ancêtre 1 (X) et de l’ancêtre 2 (Y)

 
   Y
   / \
  0   X
     / \
    1   0

Algorithme de Fitch: on va commencer par les nœuds les plus bas de l’arbre et remonter vers la racine en attribuant des caractères (0 ou 1) aux caractères ancestraux en minimisant le nombre total de changements.

  • X :
    • B: 1 -> 0
    • C : 0 -> 0
    • -> Le caractère ancestral X attribué à l’ancêtre 1 avec le minimum de changements est 0.
  • Y :
    • A: 0 -> 0.
    • X : 0 -> 0.
    • -> Le caractère ancestral Y attribué à l‘ancêtre 2 est 0.

L’arbre phylogénétique reconstruit avec les caractères ancestraux  (1 ou 0) qui minimise le nombre de changements est le suivant.

ancêtre 2               0
   / \                 / \
  A   ancêtre 1       0    0
     / \                  / \
    B   C                1   0

 

0 -> le champignon parasite un coléoptère ; 1 -> le champignon parasite une fourmi.

Hypothèses:

– L’ancêtre 1, ancêtre commun des champignons B et C, était probablement le parasite d’un coléoptère.

– L’ancêtre 2, l’ancêtre commun des champignons A, B et C, était probablement également le parasite d’un coléoptère.

L’apocalypse zombie (fongique) approche-t-elle ?

Le champignon O. unilateralis appartient au genre Corbiceps.

Il existe quelque 750 espèces de champignons Corbiceps qui infectent différents hôtes dans différents environnements, principalement des arthropodes (fourmis, araignées). Certains parasitent d’autres champignons (source: Wikipedia)!

Bien qu’O. unilateralis puisse contrôler les fourmis charpentières de manière impressionnante, il est très peu probable que ce champignon infecte les humains à l’avenir. L’interaction entre le champignon et son hôte est très spécifique au fonctionnement des 2 organismes. Il en est de même des autres interactions hôte – parasite.

Lorsque nous nous baladons dans la nature, nous respirons sans le savoir de nombreux spores de champignon. La plupart des champignons ne peuvent pas survivre à notre température corporelle (37 degrés Celsius). Selon certains scientifiques, il s’agit là d’un mécanisme de défense que nous avons acquis au cours de l’évolution justement pour nous protéger.

Les maladies fongiques sont toutefois en augmentation, en particulier chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles est l’utilisation généralisée d’antibiotiques, qui perturbent l’équilibre naturel des populations de bactéries dans notre corps et créent un environnement propice à la prolifération des champignons. Une autre raison est le réchauffement climatique, qui a conduit par exemple à l’émergence d’un pathogène appelé Candida auris qui infecte les personnes dont le système immunitaire est affaibli. Contrairement à la plupart des infections fongiques, le C. auris peut se propager d’une personne à l’autre. Le fait qu’il soit présent sur plusieurs continents depuis une courte période de temps suggère un lien possible avec le changement climatique.

Même si « The Last of Us » relève plus de la fiction que de la réalité, les experts en maladies infectieuses apprécient la prise de conscience croissante de l’importance des infections fongiques.

Source: The Last of Us” Apocalypse Is Not Realistic, But Rising Threat of Fungal Pathogens Is (2023)

Les champignons et la médecine chinoise

Une trentaine d’espèces de champignons du genre Cordyceps sont utilisées depuis plus de 1’500 ans en médecine chinoise et sont vendus de nos jours comme compléments alimentaires. Ce n’est pas le cas de notre champignon O. unilateralis.

Certains Cordyceps sont connus sous le nom de ‘Viagra de l’Himalaya’ en raison de leur potentiel dans des domaines tels que la fertilité et la libido chez les hommes et les femmes.

« Pour éliminer tous les doutes en lien avec l’utilisation de ces champignons comme compléments alimentaires ou en médecine, il est essentiel de réaliser des études de sécurité. »

« To address concerns about using these fungi as food supplements or health additions, safety studies are necessary. »

Source:  Bioactive compounds from Cordyceps and their therapeutic potential (2023)

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